L’engouement pour les places de marché chez les distributeurs : eldorado ou impasse ?
En quête d’audience forte sur leur site e-commerce et de nouveaux relais de croissance de chiffre d’affaires, les grandes enseignes historiques de la distribution se lancent – ou envisagent de le faire – vers le business modèle de la place de marché.
Occupé jusqu’à présent par les pure players et par les « opérateurs » de place de marché (Amazon, Cdiscount, Zalando…), chacun veut sa part et profiter de cet extraordinaire dynamisme. S’agit-il d’un eldorado à portée de main, ou bien le créneau est-il déjà saturé ?
Un dynamisme qui attire les convoitises
Alors qu’en 2016 les ventes en ligne ont progressé en France de 11%, celles des places de marché augmentent trois fois plus vite. Les précurseurs se nomment :
- Amazon: + de 45% des ventes mondiales issues de la place de marché, bientôt supérieures à celles sur produits stockés,
- ebay: modèle intégralement basé sur la mise en relation de vendeurs, particuliers et professionnels, et de consommateurs, sans stock, ni logistique.
Les anciens Vépéciste, tels que les 3 Suisses et La Redoute, se sont engouffrés sur ce créneau, pour restaurer leur santé financière mise à mal par l’effondrement de leur modèle traditionnel (la vente par catalogue). La Redoute réalise aujourd’hui près de 15% de ses ventes sur sa place de marché.
Et les distributeurs traditionnels suivent le mouvement :
- La Fnac profite de sa place de marché pour étoffer son offre sur ses segments produits traditionnels, mais surtout pour se positionner sur de nouveaux segments en un temps très court et à moindre frais (sport, bricolage, jardin).
- Carrefour a choisi de faire l’acquisition de Rue du Commerce, pour se positionner sur l’e-commerce et la place de marché du non alimentaire.
Tous recherchent les mêmes bénéfices :
- augmenter la largeur et la profondeur de l’assortiment sans engager de couteux frais logistiques et toute la mécanique de négociation achat ;
- attirer des vendeurs compétitifs sur les prix pour développer le trafic et les ventes (donc les revenus) et créer ainsi un cercle vertueux.
Une stratégie gagnante qui semble bien huilée…
Les places de marché aujourd’hui incontournables sont celles qui ont su attirer à la fois les consommateurs et les vendeurs. L’un de va pas sans l’autre et vice versa. Ce sont 2 conditions sine qua none.
Les consommateurs recherchent avant tout :
- un large choix à des prix compétitifs,
- une interface intuitive et fluide notamment la navigation sur mobile avec la recherche des produits, la visualisation des fiches produits et le tunnel de commande,
- et un service client irréprochable avec des fonctionnalités de tracking des commandes et livraisons, la prise en compte des réclamations et le remboursement systématique en cas de litige (sur le principe du « le client a toujours raison »).
Pour les vendeurs professionnels, qui ont le choix entre un nombre toujours plus large de places de marché, les critères discriminants sont prioritairement :
- l’exposition et le trafic proposés,
- le niveau de commissionnement imposé par l’opérateur de la place de marché,
- la simplicité des outils et processus pour mettre en ligne leurs produits et piloter l’activité générée par la place de marché,
- la mise à disposition de services personnalisés.
L’enjeu étant d’attirer les vendeurs dont l’offre est la plus attractive pour les consommateurs.
Autre facteur clé de succès : proposer aux clients des fonctions de rating des vendeurs pour en garantir la qualité et la fiabilité et déréférencer ceux qui ne répondent pas aux standards de qualité. C’est la stratégie d’Amazon qui fait le choix d’accueillir un maximum de vendeurs (plus de 2 millions dans le monde), et leur fixe des critères très stricts. Le niveau de confiance des consommateurs pour une place de marché est une des conditions du succès.
… mais qui doit faire face à un contexte concurrentiel de plus en plus fort et à des résultats plus aléatoires
Comme vu plus haut, lancer une activité de place de marché revient à résoudre le problème de la poule et de l’œuf. Pour attirer des vendeurs professionnels, il faut avoir du trafic et pour avoir du trafic il faut avoir une grande largeur et profondeur d’offres via les vendeurs. Sur le marché français des généralistes l’équation devient insoluble : face aux champions Amazon, Cdiscount et ebay et à leur avance, il ne reste plus beaucoup de place pour des challengers. La bataille semble perdue d’avance pour ceux qui veulent se lancer. Carrefour, avec l’acquisition de Rue du Commerce, Auchan et d’autres en ont conscience et doivent trouver d’autres voies pour booster leurs ventes en ligne.
Avec la multiplication des places de marché, la différenciation de l’offre devient de plus en plus difficile et la rentabilité aléatoire, alors que la mise en place d’une place de marché présente tout de même un coût : acquisition et mise en œuvre de la plateforme technologique, acquisition d’experts du « recrutement » des vendeurs professionnels et de leur pilotage et d’experts en acquisition d’audience et investissement media
La stratégie de différentiation ou de spécialisation reste certainement la seule qui offre encore des perspectives :
- se différencier par un modèle original, comme la place de marché Farfetch qui offre sur un seul site un accès à plus de 400 boutiques dans le monde avec une offre mode diversifiée,
- se spécialiser sur des niches de produits tels ManoMano sur les catégories Bricolage, déco, jardin et Etsy sur les produits artisanaux.
- Offrir des services à forte valeur ajoutée pour devenir une référence sur son segment, à l’instar de Vide Dressing dont les produits sont vendus sur la plateforme bénéficient d’un contrôle d’expertspour garantir leur authenticité.
La place de marché peut aussi causer plus de dégâts que de bienfaits. C’est le cas lorsque les vendeurs tiers ne sont pas au rendez-vous de la qualité (sur les produits ou la livraison) et détériorent ainsi l’image de marque du distributeur. Ou encore lorsque les produits qu’ils proposent viennent concurrencer frontalement l’offre de celui qui les héberge. Se lancer sur le créneau de la place de marché n’est donc pas sans risque pour les distributeurs.