[Interview] Jean-Christophe Drouard « La DRH doit accueillir l’innovation pour rester compétitive en s’employant à intégrer l’IA dans ses propres process »
Comme vous le savez, l’intelligence artificielle est LE sujet tendance. Synonyme d’apocalypse pour les uns, porteur de grands espoirs pour les autres… Articles et tribunes se succèdent traduisant des ressentis quasi aussi négatifs que positifs. Mais qu’en est-il réellement pour ceux qui sont au cœur de la gestion des ressources humaines dans les entreprises ?
Suite à notre étude menée sur l’impact de l’intelligence artificielle sur la fonction RH, nous avons mené une série d’interview pour vous aider dans votre réflexion. Nous commençons notre série avec Jean-Christophe Drouard, rédacteur en chef du média RH, Fragrances RH.
1 – De par votre expérience et les entreprises que vous rencontrez/dans lesquelles vous intervenez, combien en pourcentage ont déjà déployé l’IA?
Il nous est difficile de donner un chiffre. Le sujet est d’actualité mais peu d’entreprise semble avoir déployé l’IA et elle n’est pas encore une préoccupation majeure pour les entreprises.
Nous pouvons néanmoins constater, dans les articles que nous repérons sur le net, que l’intérêt pour ce sujet va croissant et que beaucoup de questions se posent quant à son utilité en entreprise et notamment en RH.
On ne peut pas réellement parlé d’engouement, mais l’IA est présente dans tous les esprits et est considéré comme un sujet d’importance capitale.
Estimez-vous que ce déploiement est timide ou assistez-vous à un réel engouement pour l’IA ?
Le déploiement en entreprise semble faible et ne concerner que les grands groupes. Même si la presse évoque le plus souvent les échecs et dérives de l’IA, son utilisation et mise en place reviennent souvent. On ne peut pas réellement parlé d’engouement, mais l’IA est présente dans tous les esprits et est considéré comme un sujet d’importance capitale.
Avez-vous quelques exemples à donner (si vous ne souhaitez pas donner le nom de l’entreprise, indiquez le secteur d’activité)
Nous avons pu constater l’utilisation de l’IA surtout en RH et notamment :
- Mise en place de chabots/agent conversationnel pour gérer le flux des recrutements (pré-recrutement et pré-sélections)
- Mise en place d’assistant personnel RH pour la gestion des congés
- Mise en place d’assistant personnel RH pour la gestion des droits à la formation
Grâce à l’IA, les RH pourront analyser les données de manière précise, service par service, équipe par équipe, mener ensuite des actions ciblées « correctrices » et détecter les signes éventuels du désengagement.
2 – Dans l’étude on a vu que
- 86 % des DRH plébiscitaient l’IA pour automatiser la gestion administrative (paye, congés …)
- 78 % : permettre aux salariés de gérer leurs congés, carrière, formation… et donner un feed-back sur l’entreprise grâce à un assistant personnel
- 77 % : améliorer le matching entre les candidats et les postes à pourvoir
Si vous ne deviez choisir qu’une seule fonction à l’IA, laquelle serait-elle (automatisation, recrutement … ?) et pourquoi ?
Notre choix se porte sur l’automatisation des tâches administratives, chronophages et répétitives, jugées comme étant à faible valeur ajoutée. L’IA permettra d’optimiser le temps de travail, d’accomplir des tâches en réduisant la marge d’erreur. Elle permet donc un gain de temps considérable aux professionnels RH et ainsi leur permet de se concentrer sur les tâches complexes à forte valeur ajoutée
En simplifiant et optimisant la gestion administrative en automatisant certaines tâches, les RH pourront être capable de gérer d’importants volumes de données et de les analyser finement afin d’être en capacité de prendre des décisions stratégiques pour l’entreprise, tout en minimisant les risques.
Grâce à l’IA, les RH pourront analyser les données de manière précise, service par service, équipe par équipe, mener ensuite des actions ciblées « correctrices » et détecter les signes éventuels du désengagement. Elles pourront aussi se reconcentrer sur du conseil personnalisé et de l’accompagnement pour redonner un vrai sens à la notion de « humain ».
L’IA laisse entrevoir, pour la fonction RH, une expérience plus fluide, une productivité supérieure et des résultats en hausse.
La DRH doit accueillir l’innovation pour rester compétitive en s’employant à intégrer l’IA dans ses propres process.
3 – 83 % des DRH déclarent qu’ils seront garants de l’éthique pour la mise en œuvre de l’IA et 81 % plus vigilants quant aux conditions de travail et bien-être des salariés. Pensez-vous que l’IA puisse impacter les conditions de travail ? Si oui cela sera-t-il bénéfique ou négatif et comment envisagez-vous le rôle que pourrait jouer le DRH (vigilance accrue, mise en place de garde-fous…) ?
Avec l’IA, les conditions de travail évoluent. Son impact sur la qualité de vie au travail sera fonction de la manière dont elle sera introduite dans l’entreprise.
- L’IA aura un réel impact sur les conditions de travail, tant dans son contenu que dans son organisation.
- L’IA peut créer de nouvelles opportunités pour améliorer les conditions de travail. Par exemple en soulageant les salariés des activités répétitives ou à faible valeur ajoutée, ou en diminuant la pénibilité physique ou psychique de certaines missions.
- Elle peut aussi engendrer de vrais risques : surcharge cognitive si les salariés gèrent uniquement des activités complexes et/ou sur un rythme soutenu, réduction de l’autonomie, fragmentation des tâches, isolement, perte de sens…
La DRH doit accueillir l’innovation pour rester compétitive en s’employant à intégrer l’IA dans ses propres process. Mais elle a surtout des responsabilités :
- former et informer les collaborateurs sur le potentiel – mais aussi les limites – de ces outils.
- définir les modes de fonctionnement et les process pour que leur utilisation soit bien cadrée.
- sensibiliser en permanence sur ces développements, que ce soit par des campagnes de communication ou en préparant et accompagnant les managers dans l’intégration de l’innovation.
- contrôler l’IA, en garantissant la véracité, sécurité et confidentialité des données et en régulant les algorithmes pour s’assurer qu’ils intègrent la diversité et dépassent ses biais initiaux.
Idéalement, toutes ces responsabilités doivent être définies et chapotées par l’équipe dirigeante de l’entreprise.
Les DRH doivent appréhender les effets de l’IA sur l’entreprise au niveau de la structure des emplois et des méthodes de travail
4 – 91 % des DRH estiment que l’IA va nécessiter une montée en compétences des collaborateurs. Etes-vous d’accord avec eux et comment envisagez-vous de les accompagner ? Recrutement de collaborateurs plus qualifiés, plan de formation, mobilité sur des postes plus accessibles/moins complexes … ?
L’intelligence artificielle est naturellement un enjeu de savoir-faire et de compétences.
L’IA automatise de nombreuses tâches et recentre certains métiers sur des compétences spécifiquement humaines. Pour d’autres métiers s’appuyant sur une forte technicité, l’expertise technique doit être complétée de compétences relationnelles.
La révolution de l’IA modifie par ailleurs profondément le modèle du travail : management, relations sociales, temps et lieu de travail, etc.
Les DRH doivent appréhender les effets de l’IA sur l’entreprise au niveau de la structure des emplois et des méthodes de travail, ce qui permettrait de préparer des actions de développement des compétences, voire d’adaptation des volumes et de la répartition des emplois.
Les métiers et les compétences requis à 3 ou 5 ans sont souvent radicalement différents de ceux maîtrisés aujourd’hui.
La DRH doit analyser 2 problématiques :
- Construire la structure d’emplois et de compétences
Pour une entreprise, l’enjeu est celui de la structure d’emplois et de compétences qu’elle doit construire et cibler. Le préalable consiste donc pour l’entreprise à clarifier ces choix stratégiques. L’entreprise pourra ensuite prendre les décisions en matière de recrutement, de développement des compétences et de réorientations entre les métiers qui lui permettront d’atteindre ces objectifs stratégiques.
- Développer la structure de compétences requise
Les métiers et les compétences requis à 3 ou 5 ans sont souvent radicalement différents de ceux maîtrisés aujourd’hui.
La formation se pense désormais à plusieurs niveaux et de façon continue. L’idée est de rendre le collaborateur pleinement acteur de son développement.
L’IA modifie également le paradigme des parcours professionnels : on ne fait plus désormais des parcours de carrières mais des parcours de compétences.
5 – 77 % des DRH estiment que l’IA va redonner du sens au travail. Grâce à l’automatisation, les tâches répétitives seront diminuées voire supprimées. Partagez-vous cette opinion ? Avez-vous constaté une perte de sens au travail de la part des collaborateurs et quel serait la façon d’y remédier ? L’IA pourra-t-elle être une alliée dans cette mission et comment ?
L’IA aura un impact sur nos manières de travailler.
Des impacts positifs :
- L’IA pourra créer de nouveaux métiers grâce, notamment au traitement massif des données, et améliorer les conditions de travail et une valorisation des activités et des tâches.
- L’IA permettrait une meilleure connaissance et expertise.
- L’IA pourrait apporter encore davantage d’autonomie aux équipes et faire évoluer le rôle des managers.
- L’IA est un outil d’aide à la décision.
Des impacts négatifs :
- Les salariés pourraient craindre une dévalorisation de leurs compétences, une surcharge cognitive, une perte d’autonomie, un contrôle accru et une perte de sens du travail liée à l’automatisation des tâches.
- L’IA pourrait entrainer une diminution du nombre d’employés et une augmentation de la complexité des tâches restant à traiter.
- L’IA pourrait aussi créer un isolement des salariés et une dégradation des conditions de travail (perte d’autonomie, intensification du travail…).
- L’IA favorise à la fois un « renforcement des besoins de spécialisation, et le développement d’un statut généraliste ».
- L’IA renforce l’élimination de certaines strates en entreprise.
Les principaux obstacles au déploiement de l’IA cités par les entreprises que nous rencontrons sont le manque de connaissances et d’experts qualifiés, le défaut de formation dans ce domaine et le coût des solutions IA
6 – A votre avis quels pourraient être les freins au déploiement de l’IA en entreprise ? (manque de formation, de budget, de pédagogie, de soutien de la DG …)
Les principaux obstacles au déploiement de l’IA cités par les entreprises que nous rencontrons sont le manque de connaissances et d’experts qualifiés, le défaut de formation dans ce domaine et le coût des solutions IA.
Dans une moindre mesure, nous trouvons :
- la résistance au changement en interne ;
- le manque de visibilité sur le ROI ;
- la réglementation stricte en matière de traitement et protection de données (RGPD…) ;
- les craintes liées aux algorithmes ;
- les attentes irréalistes.
7 – Quelles sont vos craintes et vos espoirs/attentes suite au déploiement de l’IA en entreprise
L’IA se développe et touche de nombreux domaines : l’amélioration du service client, l’accompagnement dans la prise de décision, l’automatisation des processus, la gestion des ressources humaines, etc. Le développement de l’IA va sans nul doute s’accélérer et ses usages se multiplier. Ce développement pourrait ainsi avoir un fort impact économique.
Ces changements peuvent en effet être coûteux et complexes à mettre en œuvre, d’autant plus si les entreprises ne possèdent pas la maturité digitale nécessaire à ce déploiement.