Anticorruption : Point sur la loi Sapin II deux ans après son entrée en vigueur
Le 9 décembre 2016, le conseil constitutionnel français a entériné la loi n° 2016-1691 dite ‘Sapin II’ s’inspirant grandement des politiques de lutte anti-corruption européennes et américaines. Ce nouveau cadre réglementaire est la suite logique d’une prise de conscience progressive de la corruption présente dans certaines entreprises françaises. En 2016, l’index de la corruption publié sur le site internet de l’ONG Transparency International était de 69 sur 100, positionnant la France au 23ième rang mondial..
Mais alors, quels sont les réels apports et attentes de la loi Sapin II ? Deux années après sa mise en place, quels sont les impacts visibles sur les entreprises françaises ? Les objectifs de l’Agence Française Anti-corruption (AFA) ont-ils été atteints ?
La loi Sapin II
1 – Prise de conscience et lutte contre la corruption
Face à une montée en puissance de la corruption au sein des entreprises, le gouvernement français a décidé de réagir et d’encadrer légalement la lutte anti-corruption. La corruption concerne tout type de conflit d’intérêt, de la simple embauche d’un stagiaire « ami de », à l’octroi d’un contrat de plusieurs milliers d’euros contre de l’argent ou des cadeaux. Certains secteurs de l’économie semblent être plus concernés que d’autres et les affaires de corruption y sont plus largement médiatisées. Nous pouvons par exemple penser aux différents scandales ayant touché le secteur bancaire ou encore, l’industrie avec des contrats « arrangés » contre des pots de vins.
La loi Sapin II s’adresse à toutes les entreprises françaises réalisant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 100 millions d’euros et employant plus de 500 personnes. Au total, quelques 1 600 entreprises sont concernées par les mesures de la loi Sapin II.
Votée en décembre 2016, les principales dispositions de la loi Sapin II sont entrées en vigueur en juin 2017. Inspirées du Foreign Corrupt Practice Act (FCPA – 1977) américain ou encore de l’United Kingdom Bribery Act (2010), ces dispositions sont les suivantes :
- Création de l’Agence Française Anti-corruption (AFA) dont le rôle est de contrôler et d’accompagner les entreprises concernées par les mesures de la loi Sapin II. Attachée aux ministères de la Défense et de la Justice, l’AFA a le droit de sanctionner le non respect de la loi Sapin II à hauteur de 200.000 euros pour les personnes physiques et de 1 million d’euros pour les personnes morales.
- Obligation morale et pénale de mise en conformité avec le cadre réglementaire fixé par la loi :
- Mise en place d’un code de conduite
- Mise en place d’un dispositif d’alerte interne
- Mise en place d’une cartographie des risques
- Mise en place de procédures d’évaluation
- Mise en place de procédure de contrôles comptables
- Mise en place d’un programme de formation
- Mise en place d’un régime disciplinaire
- Mise en place d’un dispositif de contrôle et d’évaluation
A l’issue d’un contrôle négatif de l’AFA et au-delà des sanctions financières, la société peut se voir obligée d’adapter son dispositif d’alerte et de lutte anti-corruption pour une durée de 3 ans maximum via un programme de conformité anti-corruption.
2 – Quels résultats deux ans après ?
Deux années après la promulgation de la loi Sapin II, les entreprises commencent à s’intéresser sérieusement à la lutte anti-corruption. C’est ce que montre plusieurs études récentes telles que celle d’Ecovadis qui mesure la performance des entreprises françaises selon trois segments :
- La mise en place de politiques internes et de codes de conduite au sein des sociétés et leur adoption par les employés,
- Le déploiement de mesures de prévention et de contrôle telles que des formations, des audits internes,
- L’intégration de tableaux de bord & KPIs pour suivre la performance des politiques anti-corruption des organisations
L’observatoire d’Ecovadis mesure une amélioration significative pour les deux premiers segments à partir de l’année 2017, date à laquelle la loi Sapin II est entrée en vigueur, mais également une augmentation du nombre de sanctions envers les entreprises démontrant l’effort croissant des autorités pour lutter contre la corruption.
De même, le cabinet de conseil en management KPMG a constaté en mars 2018 (Loi Sapin II : premiers retours d’expérience, 2018) que si l’utilisation de procédures et de codes de conduites au sein des organisations est désormais chose commune (environ 80%), le taux de mise en place de cartographies des risques de corruption ou encore de procédures de contrôles est encore trop faible (respectivement 9% et 35%). Ainsi, que ce soit par manque de temps ou par méconnaissance de l’importance des risques encourus, la majorité des entreprises n’a pas encore mis en place la totalité des mesures attendues par l’AFA.
Une collaboration efficace entre les différents départements (achats, juridiques, audit interne, contrôle interne, et tout autre département touché de près ou de loin par la corruption) est essentielle à la bonne mise en place des politiques de lutte anti-corruption.
Les enquêtes traduisent une prise de conscience pour renforcer la lutte anti-corruption. Il faut cependant interpréter ces résultats avec précaution. En effet, il est encore trop tôt pour affirmer que la loi Sapin II joue un rôle déterminant dans la mise en place progressive de plan de lutte anti-corruption au sein des sociétés. Les affaires de corruption qui ne cessent d’entacher la réputation des entreprises ont bien plus de poids pour inciter ces dernières à prévenir les accusations et le tribunal médiatique par la mise en place de mesures concrètes de lutte anti-corruption concrètes. C’est pourquoi le secteur de la Finance & Assurance est le second secteur le plus performant en terme de management de la corruption, puisque le plus exposé à ce risque (Ecovadis – The fight against corruption: Insights into ethical performance in global supply chains, 2018).
De plus, 74% des répondants de l’enquête KPMG ont indiqué que l’effort à fournir pour s’aligner sur les attentes de l’AFA est trop important. L’AFA a quant à elle prévu de contrôler 50 entreprises privées ou publiques par an, ainsi que 50 acteurs publiques.
Ethique, gouvernance et réputation d’une entreprise sont directement impactées par les affaires de corruption. C’est pourquoi la lutte anti-corruption, et plus globalement la gestion des risques, représente désormais un enjeu stratégique pour les entreprises. Au-delà des mesures imposées par la loi Sapin II et l’Agence Française Anti-corruption, les entreprises françaises se doivent de répondre aux attentes de leurs clients en matière d’engagement sociétal et de libre concurrence.
Pauline Moreau – Senior Consultant Axbility Consulting