Le management augmenté grâce à l’intelligence artificielle : une réalité en 2021 ?
L’Intelligence artificielle s’invite auprès des managers. Avec quels freins et obstacles, quels bénéfices, pour assurer quelles tâches ? Au final le manager est-il augmenté grâce l’IA et si oui avec quelle évolution sur le métier et la posture du manager. Autant de sujets quantifiés par une enquête menée par Axys Consultants et partagés lors des tables rondes de l’IA qui s’est tenue le 29 mars dernier, crise sanitaire oblige, à distance.
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« L’intelligence artificielle est-elle une transformation de plus dans un univers entrepreneurial en mutation ? Non, c’est une révolution », entame Laurence Suprano, associée chez Axys Consultants avant de poursuivre, « Une révolution incarnée par diverses technologies allant de la reconnaissance d’images à la RPA cognitive ; une révolution qui modifie le rapport au travail du manager. Un manager incité à faire évoluer ses compétences pour négocier cette hybridation et devenir un manager augmenté. »
Un manifeste en guise de conclusion de l’étude menée du trois janvier au 3 février par Axys Consultants auprès de 230 managers de tous horizons et commentée par nos intervenants Khadija BOUROUAYEL, Directrice au sein de la BU ACTE, , Isabelle Barth, Professeure, Université de Strasbourg, Yannick Meiller, Professeur, ESCP Business School et Jean-Luc MARINI, Directeur du laboratoire d’intelligence artificielle d’Axys Consultants.
« L’intelligence artificielle est-elle une transformation de plus dans un univers entrepreneurial en mutation ? Non, c’est une révolution »,
Laurence Suprano, Associée Axys Consultants
Une Intelligence artificielle mal appréhendé par les managers
Les managers maîtrisent peu l’intelligence artificielle, ses possibilités, ses limites et ses apports. Cette conclusion est sans doute l’information la plus saillante de l’enquête menée par Axys Consultants. Alors que pour 56 % d’entre eux, l’IA n’est pas un sujet, la plupart des répondants affirment avoir déjà déployé une solution ou sont prêts à le faire. Une contradiction apparente : de nombreux outils sont motorisés par l’IA, mais moins nombreux sont ceux qui le savent.
Un manque d’information patent pour les managers en déficit de connaissance sur ce sujet, mais qui comptent néanmoins sur l’IA pour les aider à assurer le pilotage et la prise de décision. Une appétence qui a ses limites, l’IA doit s’arrêter au seuil du cœur de métier : l’accompagnement des équipes. Pour 77 % des managers, l’IA n’est pas en effet une solution fonctionnelle pour assurer leur mission. Pourquoi cette ambivalence ? Un manque de formation, une crainte d’être remplacé et à la marge une question d’éthique répondent les managers. En réponse, l’enquête démontre un fort besoin d’accompagnement pour clarifier les apports de l’IA, les gains et les possibilités apportées par cette technologie.
Moody et Smart Report : deux outils pour le manager augmenté
Démontré comme une preuve de cet apport pour le manager, Jean-Luc Marini a rappelé l’inflation de réunions auxquelles participent les cadres, 12 en moyenne par semaine, et comment le Smart Report, un outil de transcription et de synthèse automatique des réunions pouvait faire un gagner un temps précieux aux managers. En synthétisant l’information et le relevé de décision, RIDA, le Smart Report est le rêve pour tout cadre noyé par les comptes-rendus de réunion.
« [Moody] Cet outil nous a donné une tendance sur l’état d’esprit général des équipes et, comme outil de pilotage nous a permis de proposer des aménagements dans les modes de travail »
Laurence Suprano
Pour sa part, Laurence Suprano a évoqué l’apport de Moody, le petit chatbot développé par le Lab IA et opérationnel au sein de Teams, pour la gestion du moral des équipes en période de travail à distance. « Cet outil nous a donné une tendance sur l’état d’esprit général des équipes et, comme outil de pilotage nous a permis de proposer des aménagements dans les modes de travail », rappelle Laurence Suprano.
Le manager augmenté par l’IA : quelle définition ?
À la mesure du Smart Report et de Moody, chacun voit bien l’apport et l’aide de l’IA dans le cadre de fonctions managériales. Pour autant, faut-il l’imposer au manager pour le transformer en manager augmenté ? Pour Isabelle Barthe, la réponse sans ambiguïté : « Ce n’est pas négociable. Pour paraphraser AlvinToffler, “si vous n’avez pas de stratégie, quelqu’un l’aura pour vous”. Il faut mettre des choses en place avec au cœur du sujet l’appropriation de ces outils et en laissant la décision finale à l’humain. »
« il est difficile de se projeter dans un univers que l’on ne connaît pas, ce qui pose la question de l’appropriation et de la frontière entre la machine et l’humain. «
Yannick Meiller, Professeur, ESCP Business School
Pour Isabelle Barthe la marge est toutefois encore importante. Plus que le manager augmenté, l’impression est selon elle celle d’un « manager embarqué » avec une IA et des outils ressentis comme des exosquelettes, sorte de prothèse externe dédiée à soulager des tâches, mais loin de l’augmentation par l’IA qui pour la professeure en management est l’étape ultime des trois dévolues à l’IA :
- Celles des tâches qui peuvent être remplacées par l’IA
- L’assistance dans les missions quotidiennes
- Et enfin l’augmentation qui relève de tâches que l’on ne pourrait pas faire sans avoir recours à une aide outillée : la gestion en volume des talents, la gestion des projets complexes entre autres.
« Les managers se focalisent souvent sur ce qu’ils ne veulent pas faire », relève Yannick Meiller, « alors que faire ce que l’on ne pourrait pas faire sans est le plus intéressant pour eux. Mais il est difficile de se projeter dans un univers que l’on ne connaît pas, ce qui pose la question de l’appropriation et de la frontière entre la machine et l’humain. » Cette méconnaissance de l’IA induit parfois des effets de bord inattendus pour Yannick Meiller, « L’IA permet une rationalisation de la décision sur l’analyse de la donnée, pour le meilleur ou le pire. Avec l’IA, la décision n’est pas meilleure ou pire : elle est plus rationnelle. Ce qui ouvre à plus de complexité et de finesse, mais parfois le résultat est trop fin pour la mise en œuvre. Il ne faut pas chasser le moustique au bazooka. » Ce constat induit de facto un plaidoyer pour le travail collectif, à recentrer l’humain sur la réflexion et la créativité pour Yannick Meiller. Un constat qui pose la question de la place du manager dans cette hybridation en cours.
« Certains métiers et secteurs ont du souci à se faire et seront remplacés par la technologie, parfois sans regrets. C’est une transformation, donc une évolution, et il faut le prendre comme cela«
Isabelle Barth, Professeure, Université de Strasbourg
Accepter ses limites et trouver sa place
Pour Isabelle Barth, la feuille de route est claire, l’hybridation entre IA et humain positionne le manager entre le marteau et l’enclume et n’auront d’autres choix que d’accompagner cette évolution sous peine de disparaître, « Certains métiers et secteurs ont du souci à se faire et seront remplacés par la technologie, parfois sans regrets. C’est une transformation, donc une évolution, et il faut le prendre comme cela. Les humains doivent se transformer, il faut former, acculturer, faire dialoguer pendant la phase de transition, soulever le capot du moteur. Sur ces points, nous ne sommes pas prêts. Au-delà cela renvoie aussi à la société que nous souhaitons. Est-ce que je veux du temps pour moi ? Plus du même ou autre chose ? »
« Aujourd’hui il faut construire un management qui utilise ces technologies de l’IA en se posant les bonnes questions. »
Yannick Meiller, Professeur, ESCP Business School
Cette question de la relation au travail pose aussi la question de l’inédit. L’irruption de l’IA induit une nouveauté à laquelle personne n’a jamais été confronté dans l’organisation. Comment dès lors imaginer de nouvelles organisations avec ces nouveaux outils et assurer la transformation ? Pour Yannick Meiller, « il faut se demander si cela fonctionne ou non et garder le meilleur. Aujourd’hui il faut construire un management qui utilise ces technologies de l’IA en se posant les bonnes questions. Comment inclure ces outils dans un processus décisionnel, qu’est-ce que cela signifie ? Que faites-vous du résultat ? Il faut de l’analyse et de l’invention pour implémenter un sujet qui n’existait pas. »
Quelles compétences pour le manager augmenté ?
Dans l’absolu, le rôle du manager résumé par Isabelle Barth est de prendre des décisions, motiver ses équipes et dessiner un horizon désirable pour ses équipes. Ici l’IA a ses propres limites. Puissante sur le prédictif, l’analyse décisionnelle, l’accompagnement des équipes sur le versant symbolique n’est pas de son ressort. Toutefois, en accélérant les tâches, l’IA dégage un temps précieux pour les managers. Un temps à consacrer à la gestion de l’équipe pour Isabelle Barth. À condition toutefois de ne pas « mettre à profit ce temps pour faire plus sous peine de burn-out ou d’utiliser l’IA pour vider le travail de sa substance sous peine cette fois de bore-out » tempère Yannick Meiller.
Une voie que ne semblent pas explorer les entreprises en demande de « hard skills » d’ici à 2025 selon les études prospectives menées par Isabelle Barth. Mais, ces nouveaux profils devront posséder pour être efficients une double compétence technique et managériale.
« Nous avons d’un côté les data analystes qui peuvent poser des questions, de l’autre des managers qui ne se doutent pas des questions qu’ils peuvent poser », résume Yannick Meiller. L’avenir des managers est à la réconciliation de ces deux univers.
Un changement d’organisation, une transformation de l’évaluation
Cette transformation du manager, à l’expertise à la frontière entre technologie et management, doit aussi être accompagnée par une remise en cause de l’organisation et une approche systémique. La circulation de l’information milite en faveur d’une démolition des silos nous rappelle Isabelle Barth. Une condition pour que la technologie apporte de la valeur par sa mise en œuvre. En déployant utilement la technologie, le manager peut trouver un ROI rapide dans son domaine, ici une meilleure prédiction pour l’implantation des points de vente, là une fidélisation multipliée par deux etc.
« l’IA nous fait entrer dans la management phygital avec une, capacité à travailler ou on veut, quand on veut, avec des outils différents.«
Isabelle Barth, Professeure, Université de Strasbourg
Cette valeur selon les intervenants est aussi à chercher dans l’engagement des collaborateurs, dans la relation, dans la qualité de vie au travail, des bénéfices directs et indirects de chacun. L’IA est un outil au service du manager, mais aux retombées difficilement quantifiable dans le cadre d’une évaluation managériale. « Mais évolue-t-on la qualité du manager aujourd’hui ? » s’interroge Yannick Meiller.
Quel bénéfice alors pour les managers augmentés à utiliser l’IA ? « il faut avoir en tête le mécanisme de valeur ajoutée pour tirer des bénéfices de l’IA », conclut Yannick Meiller complétée par Isabelle Barth pour qui « l’IA nous fait entrer dans la management phygital avec une, capacité à travailler ou on veut, quand on veut, avec des outils différents. »
Un 3ème millénaire où chaque entreprise devra inventer sa façon d’utiliser l’IA, mais en gardant en tête que l’apprentissage est lent et qu’il est normal que cela n’avance pas aussi rapidement que souhaité. « Il n’y a pas de magie », conclut Isabelle Barth.
Une table ronde passionnante avec de nombreux insights et pistes de réflexions. À voir ou à revoir !