[interview] Carole Lailler « Les freins au déploiement de l’IA ? La peur, les fantasmes de l’IA qui fait le café, la psychanalyse et le CR de la réunion… »
Suite de nos interviews liées à notre étude menée sur l’impact de l’intelligence artificielle sur la fonction RH. Carole Lailler, Dr en Sciences du Langage, consultant en IA et formateur freelance, nous apporte son témoignage.
Que ce soit des Grands Groupes ou des entreprises plus petites, l’idée est de se doter d’un outil d’IA conversationnel et d’ajuster la problématique aux cas d’usages et aux données cibles.
1 – De par votre expérience et les entreprises que vous rencontrez/dans lesquelles vous intervenez, combien en pourcentage ont déjà déployé l’IA? Estimez-vous que ce déploiement est timide ou assistez-vous à un réel engouement pour l’IA ? Avez-vous quelques exemples à donner (si vous ne souhaitez pas donner le nom de l’entreprise, indiquez le secteur d’activité)
En ce qui me concerne, la question est particulière et légèrement biaisée dans la mesure où les entreprises qui m’appellent me sollicitent justement par rapport à une problématique d’outils d’IA liées à la parole : reconnaissance de la parole (sous-titrage, CR automatique…), chatbots ou traduction.
Que ce soit des Grands Groupes ou des entreprises plus petites, l’idée est de se doter d’un outil d’IA conversationnel et d’ajuster la problématique aux cas d’usages et aux données cibles : adaptation au vocabulaire plus ou moins terminologique, prise en compte de la spontanéité des propos dans les sous-titrages, traduction selon la ligne éditoriale de la société, analyses de TALN conformes à la réalité des usages, il s’agit bien souvent d’adapter les systèmes à la langue cible.
Pour les start-up qui proposent des services liés à l’IA, je réalise des audits, des entrainements de ML pour les bots, des cartographies de données, des évaluations… L’objectif est de s’assurer que les apprentissages soient les plus « justes » possible et la satisfaction utilisateur la plus grande possible.
Éviter le churn, alerter face à des avis négatifs avant qu’il ne soit trop tard, mieux vaut prévenir que guérir dit le proverbe !
2 – Dans l’étude on a vu que
- 86 % des DRH plébiscitaient l’IA pour automatiser la gestion administrative (paye, congés …)
- 78 % : permettre aux salariés de gérer leurs congés, carrière, formation… et donner un feed-back sur l’entreprise grâce à un assistant personnel
- 77 % : améliorer le matching entre les candidats et les postes à pourvoir
Si vous ne deviez choisir qu’une seule fonction à l’IA, laquelle serait-elle (automatisation, recrutement … ?) et pourquoi ?
J’avoue un léger faible pour les bots bien faits avec des intentions bien travaillées qui permettent non seulement de donner une réponse une et unique et efficace à des questions qui sont posées en langue naturelle dans toutes les variations dont veulent bien se saisir les locuteurs humains. C’est conversationnel mais efficace et rapide : les réponses sont validées par les experts-métier RH, les utilisateurs posent la question quand bon leur semble et de la façon qui leur sied le plus. Efficace mais pas figé en somme !
Sinon, les algo de matching qui sont construits de façon à mettre en relation de réelles compétences à partir des déclaratifs des candidats sont intéressants. Outre l’association, il s’agit de débusquer les connaissances (toutes les compétences) dans la réalité de leur expression.
Ces travaux sur les déclaratifs sont de formidables occasions de saisir une humeur, un avis… Qu’il soit positif ou négatif, ce déclaratif traduit un éthos, une envie, un problème à résoudre et en faire état est le début du mieux-vivre au travail. Éviter le churn, alerter face à des avis négatifs avant qu’il ne soit trop tard, mieux vaut prévenir que guérir dit le proverbe !
3 – 83 % des DRH déclarent qu’ils seront garants de l’éthique pour la mise en œuvre de l’IA et 81 % plus vigilants quant aux conditions de travail et bien-être des salariés. Pensez-vous que l’IA puisse impacter les conditions de travail ? Si oui cela sera-t-il bénéfique ou négatif et comment envisagez-vous le rôle que pourrait jouer le DRH (vigilance accrue, mise en place de garde-fous… )?
L’impact peut être réel en supprimant des tâches chronophages et hautement rébarbatives. Par exemple, les outils d’IA peuvent fournir un CR complet sans interprétation malheureuse mais juste en livrant les propos tenus, ce qui fait gagner du temps et permet de se concentrer sur l’essentiel des actions à mener. Il s’agit de gagner du temps et de ne pas céder à la langueur des tâches faciles à faire mais très ciblées, automatisables sans besoin de compréhension… L’humain n’est pas remplacé dans ce qu’il a de profondément humain : réflexion, curiosité, inventivité, etc. Tout n’est question que d’adjuvance ! Le DRH et les professionnels sont là pour livrer leurs connaissances, leur expertise métier, bref tout ce qui concourt à la réussite du domaine. Cependant, il est essentiel de mener les travaux, les tests en équipe, en respectant et les données (dans leur récolte, leur traitements, leur s cartographies/recensements) et ceux qui les produisent/manipulent/en tirent un sens avec des KPI, des actions à mener, des transformations à mettre en place.
4 – 91 % des DRH estiment que l’IA va nécessiter une montée en compétences des collaborateurs. Etes-vous d’accord avec eux et comment envisagez-vous de les accompagner ? Recrutement de collaborateurs plus qualifiés, plan de formation, mobilité sur des postes plus accessibles/moins complexes … ?
Outre les formations pour expliquer les outils, leurs fonctionnements, les principes de base (la simple question de l’apprentissage par exemple qu’on n’est pas obligé de torturer avec des schémas complexes), il est également nécessaire d’évaluer. Évaluer objectivement en présentant les métriques utilisées mais aussi en incluant chacun dans des expériences perceptives où les retours alimentent les itérations et donc les outils eux-mêmes. Prendre part, se saisir de, en somme…
5 – 77 % des DRH estiment que l’IA va redonner du sens au travail. Grâce à l’automatisation, les tâches répétitives seront diminuées voire supprimées. Partagez-vous cette opinion ? Avez-vous constaté une perte de sens au travail de la part des collaborateurs et quel serait la façon d’y remédier ? L’IA pourra-t-elle être une alliée dans cette mission et comment ?
Une alliée pour pallier les tâches chronophages sources d’erreurs (copier des résultats dans des cellules d’un tableau… mais aussi répondre toujours le même énoncé à une question bateau) qui permet de dégager du temps pour s’occuper de ce qui fait sens, pour analyser, vérifier, imaginer de nouveaux process. Un exemple concret : le bot répond aux problèmes classiques de RTT restants et de prélèvement à la source tandis que les experts RH résolvent les problématiques plus complexes de contractualisation, de confidentialité, de représentation du personnel, etc.
En trouvant les cas déjà traités dans des millions de pages, les outils TALN de recherche d’information facilitent le travail d’investigations des juristes qui peuvent prendre le temps de ciseler et d’ajuster aux situations leurs rapports.
6 – A votre avis quels pourraient être les freins au déploiement de l’IA en entreprise ? (manque de formation, de budget, de pédagogie, de soutien de la DG …)
La peur, les fantasmes de l’IA qui fait le café, la psychanalyse et le CR de la réunion… Les outils non adaptés qui, non appris sur des données idoines et cibles, proposent des résultats trop éloignés de l’univers et/ou de la langue.
7 – Quelles sont vos craintes et vos espoirs/attentes suite au déploiement de l’IA en entreprise
De jolis projets, toujours plus ciselés bien évalués, moins gourmands en données d’apprentissage donc plus vertueux dans leur rapport à la planète et aux utilisateurs ! J’y travaille chaque jour davantage !