Pourquoi y a-t-il résistance au changement ?
Changer est un défi, mais pourquoi y-a-t-il une résistance au changement ?
Il y a peu, Yann Gourvennec expliquait pourquoi et comment la notion de transformation est différente de la notion de changement. Pour simplifier, il a expliqué entre autre chose que la transformation était bien plus ardue qu’une « simple » conduite du changement. Dans ce contexte, « simple » est une figure de rhétorique, et il ne faudrait pas en tirer la conclusion hâtive que réaliser une conduite de changement est quelque chose de facile. En fait, tout changement (et a fortiori toute transformation) est un sujet complexe qui mérite qu’on s’y attarde un peu. Voyons ici, ce qui est véritablement la conduite du changement et pourquoi il y a tant de malentendus autour de cette discipline. Ici il s’est borné à lire un livre (« Immunity to change » — de Lisa Laskow Lahey et Robert Kegan — 700 pages quand-même) et à se poser deux questions : 1) est-il vrai, au-delà des impressions, que la résistance au changement est omniprésente ? 2) quelles sont les raisons qui expliquent cette résistance, au-delà aussi des poncifs sur le management et en allant chercher dans la recherche en psychologie ?
« Plus ça change, plus c’est la même chose »
Alphonse Karr
Inutile de nier le changement, il est même la seule chose qui ne changera jamais
Le changement on l’a vu dans l’article précédent, à la différence de la transformation, consiste à évoluer d’un état connu à un nouvel état connu. Cela ne veut en aucun cas dire que la conduite du changement est un exercice facile, rien ne serait plus faux.
Lors d’une discussion avec une amie, nous parlions de changement et de la difficulté de faire évoluer les choses sur le terrain. Quiconque a innové, ou tenté d’innover, sait qu’à un moment de son projet ou un autre, plus souvent tôt que tard, il ou elle rencontrera une forte résistance au changement qu’il lui faudra surmonter.
Un malentendu : « la conduite du changement n’existe pas, il n’y a que de bons ou mauvais managers »
Cette amie me disait en substance « mais cela n’existe pas la conduite du changement, il n’y a que des bons et mauvais managers ». Voilà une affirmation que j’ai retrouvée écrite ici et là à plusieurs endroits.
Pour faire changer les choses, il suffirait d’être persuasif et de savoir convaincre. Dit comme cela, la conduite du changement serait un exercice de style très simple à réaliser.
Il suffirait de faire suivre une formation en argumentation commerciale, de sortir une liste de réponses aux objections, et hop ! la conduite du changement serait terminée.
Il n’en est rien, et ce serait une pure folie que de le croire. Pour m’en convaincre, je me suis posé la question de savoir quels étaient les ressorts du changement vu par les yeux des psychologues, et pour cela, je me suis écarté de la littérature de l’entreprise pour me rapprocher des écrits scientifiques et notamment d’un livre.
Le changement, une simple question de management ? En êtes-vous sûr ?
Comme l’écrit Carsten Tams, contributeur chez Forbes, la conduite du changement a besoin d’un bon coup de balai. Les recettes habituellement proposées suivent toutes à peu près, je cite, le même schéma :
- Partez du top management et assurez-vous de l’investissement personnel du CEO ;
- Exécutez votre plan en cascade descendante en traversant toutes les couches de la hiérarchie ;
- Consolidez le changement, nommez des responsables et contrôlez les résultats.
Et Carsten, lui-même consultant indépendant pour Harvard University, de poursuivre :
« Mon instinct me dit qu’il y a un souci avec ce modèle. McKinsey estime que 70 % des programmes de changement n’atteignent pas leurs objectifs, en grande partie à cause de la résistance des employés. D’autres études aboutissent à des résultats similaires. Si une poignée de gens résistent, c’est peut-être que quelque chose ne va pas chez eux. Si la résistance générale des employés fait échouer continuellement les programmes de changement, alors ce ne sont peut-être pas les gens qui ont besoin d’être corrigés, c’est le modèle de changement. »
Le mode de pensée dénoncé par Tams n’est pas seulement scolaire, il traduit une pensée assez primaire qui voudrait, à l’instar des organisations militaires, que les décisions se prennent uniquement au niveau du commandement et que les autres niveaux sont juste là pour exécuter sans (trop) rechigner.
Mais les entreprises ne font plus appel systématiquement aux militaires pour recruter leurs dirigeants depuis au moins 50 ans et on se demande pourquoi on rencontre encore sur le terrain, ce genre de schémas. Par ailleurs, même dans l’armée on rencontre de la résistance au changement, qu’on appelle rébellion ou insoumission, et qu’on règle par des moyens assez radicaux, qui vont jusqu’à là cour martiale ou la prison, ou la mort. Inutile de dire que dans le monde de l’entreprise, ce schéma n’a pas lieu d’être, Dieu merci.
Le billet de Carsten Tams m’a interpellé et je me suis posé la question de savoir d’une part, s’il était vrai que la résistance au changement était bien un problème, au-delà des impressions qu’on peut avoir sur le terrain. Et d’autre part, à quoi on pourrait l’attribuer. Pour cela, je me suis référé à un ouvrage qui fait autorité dans le domaine : « Immunity to change » (l’immunité au changement), tel est le titre évocateur de cet ouvrage publié en 2009 chez Harvard Business Press.
Ses auteurs ne sont pas des consultants, mais des professeurs de l’université de Harvard, avec un historique impressionnant en matière de recherche en Psychologie. Dans ce livre, ils nous distillent 25 ans de savoir acquis sur le sujet.
Dans l’introduction, ils répondent assez vite à la première question, en allant chercher en dehors de l’entreprise, un exemple qui parle de lui-même :
« Il n’y a pas si longtemps, une étude médicale [NDLR Malheureusement non référencée dans le livre] a démontré que si les cardiologues annoncent à leurs patients cardiaques à risque qu’ils vont purement et simplement mourir s’ils n’apportent pas de changement dans leur vie personnelle – alimentation, exercice, tabagisme – seulement un sur sept a la force de mettre en œuvre ces changements. Un sur sept ! Et nous pouvons supposer que les six autres voulaient vivre eux aussi, voir plus de couchers de soleil, voir leurs petits-enfants grandir. L’urgence ne faisait pas défaut. Les incitations au changement ne pourraient pas être plus fortes. Les médecins se sont assurés qu’ils savaient exactement ce qu’ils devaient faire. Pourtant, ils ne se sont pas sentis capables de le faire. »
Cet exemple est intéressant. Trop souvent, en « conduite du changement », on estime qu’il suffit de renverser la tendance et de convaincre des gens à changer, mais l’exemple le montre bien. Même sous la menace impérieuse de la mort, une très large majorité des personnes ne changent pas.
Ce n’est pas qu’elles refusent de changer. Elles sont certainement, pour la plupart, bienveillantes. Elles peuvent éventuellement détester l’idée de ce nouveau système d’information que vous voulez mettre en place, mais ce n’est pas là le moteur de l’inaction si je puis dire.
Peut-être faut-il chercher du côté du confort des habitudes (l’être humain aime répéter les mêmes choses finalement, c’est bien ce qui va lui jouer des tours dans les transformations en cours avec l’IA). Il y a aussi sans doute la croyance intime que finalement, c’est trop tard, rien ne changera plus, et que tant qu’à mourir, autant que cela soit dans la bonne humeur, en fumant, mangeant et en buvant.
De la même manière, dans un monde où l’incitation au changement, plus que le changement lui-même, est constante, y a-t-il développement d’un scepticisme de rigueur qui vous fait dire en votre for intérieur « attendons bien, et voyons si les choses changent vraiment, il sera toujours temps de bouger plus tard. » En résumé, il ne sert à rien de s’énerver sur la résistance au changement, bien naturelle, et majoritairement répandue. Pas besoin de s’énerver sur les Gaulois réfractaires, ce phénomène n’est pas que français, même s’il est vrai que nos compatriotes sont quand même champions du monde de la résistance.
Alors, pourquoi s’intéresser à la résistance au changement ? Kegan et Lahey nous l’expliquent fort bien.
« Vous pouvez passer quatre jours à Davos et ne pas trouver une seule séance qui explique pourquoi le changement est si difficile ou ce que nous pouvons faire à ce sujet […] À notre avis, les dirigeants et les organisations qui maîtrisent l’immunité au changement seront dominants dans leur secteur au cours du siècle prochain. Ils établiront la norme pour ce qui est d’atteindre leurs propres objectifs. Ils seront les plus admirés par leurs concurrents. »
À mon humble avis de praticien, il faut s’intéresser aux personnes résistantes au changement — et non à la résistance au changement en soi — pour une bonne et simple raison : les éviter comme la peste.
Le schéma (revu et corrigé par Lahey de la complexité mentale. Ils nous exhortent dans leur livre à revoir nos schémas et d’inclure la complexité des humains et aussi le possible apprentissage après l’adolescence.
J’ai toujours trouvé, au bout des dizaines de projets majeurs que j’ai entrepris dans ma carrière, que si la majorité résistait, pour diverses raisons, à la nouveauté, il suffisait de se pencher sur la minorité positive pour aller plus loin et procéder par petits sauts qualitatifs, démontrer sa réussite et enfin atteindre ses objectifs les plus ambitieux uniquement à la fin d’un chemin de changement qui peut s’avérer long, mais fructueux.
Éviter le terme de « conduite du changement » ?
En fait je n’aime pas beaucoup ce terme, mais je n’ai pas le choix, il faut bien l’utiliser pour se faire comprendre. Il fait passer une idée qui est à mon avis fausse, qu’il y a un chemin à suivre, à peu près toujours le même, et qu’en fin de compte, vous arriverez à ce qu’on vous suive.
Pour moi, un projet de changement (enlevons le mot conduite) est une expérience riche et humaine, faite d’essais et d’erreurs, carburant à l’enthousiasme pour attirer cette minorité agissante que j’ai décrite plus haut. Cela ne remplira pas des manuels théoriques de management, et est difficile à codifier, car les relations humaines et l’intelligence émotionnelle ne se mettent pas en équations.
Enfin, il est certain que pour bien mener le changement, la première étape est celle qui consiste à choisir son projet de changement et de se convaincre soi-même qu’il est bon. Et de refuser de se placer dans une logique de changement sur un projet pour lequel vous n’êtes pas 100% en phase. Cela requiert un peu de courage intellectuel et la capacité de dire non aux projets mal engagés. Cette phase d’évaluation est même la plus importante à mon avis, avant d’aller s’empaler sur les piques des résistants à la nouveauté. J’ai ainsi de nombreuses fois, rejeté des projets qui me semblaient mal engagés ou mauvais, et si cela a été difficile, je n’ai jamais regretté par la suite d’avoir refusé un travail inutile ou mauvais et d’avoir préservé ma propre santé.
C’est par là que commence le changement, comme la charité, par soi-même.
Lisez « Immunity to change » pour en savoir plus et découvrir les recettes indiquées par les auteurs pour « surmonter [cette immunité] et libérer votre potence et celui de votre organisation ».
Yann Gourvennec
PDG & fondateur chez Visionary Marketing
Yann Gourvennec a créé le site visionarymarketing.com en 1996. Il est intervenant et auteur de 4 ouvrages édités chez Kawa. En 2014 il est devenu entrepreneur, en créant son agence de marketing digital Visionary Marketing.